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Les potiers d'Accolay
9 avril 2015

PARABOLE

Pour Walter Benjamin « il existe un rendez-vous secret entre les générations passées et la nôtre. À nous comme à chaque génération précédente fut accordée une faible force messianique », c'est à la rencontre de ceux qui en expérimentent la puissance qu'une œuvre s'épanouit.
Partant, bien au-delà de ceux qui l'ont animée, une création accède à la contemporanéité à chaque moment où ce rendez-vous devient possible.

C'est à Accolay, le long du canal du Nivernais où les joutes fluviales animent les beaux jours depuis bien longtemps, lové en bordure de la ronde Cure, que s'est jouée il y a un demi-siècle une des parties les plus pénétrantes de l'histoire de l'artisanat français.


Bien malin celui qui aurait pressenti ce qui s'est imaginé dans ce village discret. Le temps est passé. Les railleries n'ont plus trouvé de répliques et l'œuvre est tombée dans une léthargie qui en a assombri l'aura jusqu'à ce qu'une poignée de passionnés sondent la mémoire locale pour recenser ce qui reste du souvenir d'une vie partagée.

Les faits semblent aujourd'hui relativement connus, par trop univoques toutefois, mais pour humer ce que l'expérience des potiers d'Accolay a à nous enseigner aujourd'hui il faut aller plus loin. Chercher l'origine derrière le langage, sonder l'idée puisque je puis l'affirmer vigoureusement aujourd'hui, la communauté des potiers d'Accolay forme une manière extraordinaire dans le paysage artistique des années d'après-guerre.

Plus encore que par une lecture historique dont on ne peut faire l'économie (1), c'est par leur manière d'appréhender la pratique, qu'ils offrent un angle essentiel au temps que nous vivons: un petit paradigme de l'éthique animant un œuvre commun qui, lu à l'heure du marché omnipotent et de la muséification des biens communs laisse poindre quelques scintillements dans les ténèbres.

Dans le village beaucoup ne se rappellent pas comment ils ont débarqués. « Ils sont arrivés c'est tout», comme on arrive en Bourgogne quand on ignore où l'on fuit. Ceux là, ils étaient quatre à l'origine, ne sont pas arrivés de si loin. Ayant cherchés à s'exempter du STO (Service du Travail Obligatoire) en Allemagne, ils se sont retrouvés dans l'atelier de céramique du lycée professionnel de Mâcon alors dirigé par Alexandre Kostanda. Celui qui allait bientôt déployer une production délicate dans le terreau vibrant de Vallauris auprès de Jean Derval, Roger Capron et Robert Picault servit de mentor à la formation de quatre jeunes germano-pratins pour qui il faudrait désormais vivre les dérives nocturnes d'une façon neuve. Ils s'appelaient André Boutaud, Slavik Palley, Louis Dangon et un dénommé Raude (ou Rodet selon les versions – on ne saura ici rien de lui).

Leur arrivée fut contestée et avant d'animer la vie d'un village rural parmi d'autres, il leur fallut être jaugés. On les traita de marginaux, de libertins, on fantasma pour mleur compte une tendance sectariste et on les surnomma finalement « les boucs » en reflet de ceux qu'ils arboraient sur leurs visages.

Certains racontent qu'ils étaient séminaristes défroqués avant même d'avoir été froqués mais on ne sait si c'est leur mysticisme ou leur montée des environs de Cluny qui alimentèrent les premières obsessions de la population locale. La rue où siège la maison acquise alors grâce au soutien de la famille de Boutaud est encore de nos jours sous-titrée en graffiti « rue des boucs ».

(1) A ce propos voir le précieux site accolay.com animé par Germain Brochet, ou encore l'article de Sabine Laguionie dans Antiquité Brocante d'avril 2006

 

 

 

 

 

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